mardi 8 octobre 2019

Beautiful Florida !


On le sait, et les lecteurs de mes billets ne l’ignorent pas, j’aime les voyages !
Aussi, bien qu’ayant fait il y a quelques mois à peine une exceptionnelle remontée de l’Amazone en bateau depuis Manaus, comment résister à la proposition de ma dernière fille, en poste depuis plus d’un an chez Disney à Orlando, de venir lui rendre visite avant son prochain retour en France ! Oh, juste une semaine, le maximum de congés qu’elle pouvait obtenir. Après m’avoir interrogé sur mes envies de découvertes une fois sur place, elle m’organisa de main de maître (il est vrai qu’elle possède une formation de base dans le tourisme) un circuit que je ne pouvais passer sous silence, à l’image du billet que j’avais écrit il y a quelques années et que j’avais intitulé « Gaspésie, oh oui ! », lequel rencontra un certain succès.

Elle alla jusqu’à se charger de la prise des billets d’avion auprès d’une compagnie scandinave dite « low-cost », une des rares qui faisait des vols réguliers et directs vers Orlando. Rien à faire donc de mon côté, juste imprimer les billets et cartes d’embarquement. Sauf que, le jour du départ, je restai, tout comme les autres passagers, plus de sept heures dans la salle d’embarquement à Roissy, le décollage ne cessant d’être régulièrement repoussé, sans de vraies et bonnes raisons avec, comme apothéose, aux environs de vingt et une heures, l’annulation du vol… et un retour chez moi en RER. Inutile d’évoquer mon désarroi et l’effondrement de ma fille qui avait déjà récupéré la voiture de location et réservé la première nuit d’hôtel.

La nuit fut éprouvante, pour l’un comme pour l’autre. Mais au réveil, ma fille aînée m’appela en me disant qu’il était impensable que je n’aille pas rejoindre sa jeune sœur et qu’elle avait d’ailleurs déjà trouvé un vol aller-retour vers Orlando, via… Reykjavík ! Je n’eus guère le temps d’épiloguer et il me fallut sans tarder contacter la compagnie aérienne… qui me confirma en moins de vingt minutes vols et billets pour les mêmes dates. Mon vol décollait de Roissy en début d’après-midi. Je chargeai mon aînée de prévenir sa sœur en dépit d’un décalage horaire de six heures.

« À quelque chose malheur est bon », dit le proverbe. De la même façon que ma croisière vers le détroit de Béring avait été annulée trois jours avant le départ…, ce qui m’avait permis de partir vers le Pérou et la Bolivie il y a un an (voir mon tout dernier ouvrage « Îles et Cimes » sur www.calamasol.fr), ce changement imprévu et imposé me permit de faire une belle découverte, ce qui ne me serait pas arrivé la veille. Cette étonnante révélation  vint ainsi s’ajouter à celles, récentes, de mes extrémités de la terre. En effet, après un premier vol vers cette île du grand Nord, passant au-dessus des îles britanniques, le second vol, bénéficiant une fois de plus d’un hublot par bâbord, me permit de survoler, en plein jour donc, et sans aucun nuage, l’extrémité sud du Groenland. Quel émerveillement, quelle splendeur, quelle émotion ! Je connaissais désormais trois des terres les plus englacées de la planète, après l’archipel du Svalbard et la péninsule Antarctique ! Quelle chance !


*
Arrivé de nuit à Orlando, ma fille Laura m’attendait à la dépose minute de l’aéroport. La toute première impression, après l’avoir bien sûr fortement serrée dans mes bras, fut de ressentir cette lourde chaleur humide qui n’allait pas me quitter de tout le séjour (sauf dans la voiture, les hôtels et bâtiments divers où la climatisation marche à fond… au détriment de la couche d’ozone hélas…). Après un parcours nocturne au sein de larges avenues éclairées, découvrant la façon anarchique, pour le moins dangereuse et inconsidérée, dont les habitants de cet état conduisaient (ma fille m’apprit que le Floride détenait le triste record du plus grand nombre d’accidents mortels de circulation de tout le pays ; à cet effet, elle ne souhaita pas que je conduise moi-même, et elle eut bien raison), nous gagnâmes le joli hôtel (Palazzo Lakeside Hotel à Kissimmee) situé au bord d’un petit lac – la Floride en est parsemée – où j’allais passer deux nuits. Mais la faim me tenaillait, la compagnie aérienne que j’avais prise ne délivrant que des repas… payants ! Le choix fut rapidement validé : je voulais me régaler d’un véritable hamburger ! Je ne fus pas déçu. Ce fut un gigantesque double cheese burger, accompagné de frites, que j’eus bien du mal à terminer, l’ensemble accompagné d’une bonne bière bien fraîche. J’avais malgré tout du mal à réaliser que j’étais enfin en Floride, état ainsi dénommé par Ponce de Leon (en fait la Pascua Florida, les « Pâques fleuries », en référence au dimanche des Rameaux) lors de sa découverte en 1513. J’avais retrouvé ma fille, et j’allais découvrir une nouvelle région du monde.


Notre première journée, parfaitement organisée, voire presque minutée !, allait me permettre, outre la découverte des lieux où ma fille résidait – de belles bâtisses au milieu de vastes jardins arborés, dans le style Disney –, de pénétrer dans ce parc dont je connaissais le nom depuis sa création en 1982, Epcot. Qui n’a pas en mémoire cette grande sphère métallique, si moderne pour l’époque, ou encore ce réseau de monorails qui sillonnent le site en tous sens ? Malgré ses presque quarante ans, il me parut tout aussi moderne et tourné vers le futur. J’aimai déambuler aux côtés de ma Laura au milieu de cette foule bigarrée, vivante, gesticulante, souvent affublée d’ornements et de colifichets, parfois à la limite du bon goût, reprenant les nombreux personnages du dessinateur. Deux attractions – mais pas celles frissonnantes que je ne supportais pas ! –  avaient été réservées, de façon à nous éviter une trop longue attente. Je les appréciais. À nouveau au dehors, l’on se retrouvait presque suffocants du fait de la chaleur humide qui nous enveloppait. Chapeau et lunettes de soleil, tout comme la crème solaire, étaient absolument indispensables.
Ma fille m’avait vanté depuis des mois le fameux festival international Food and Wine du parc, où elle avait d’ailleurs officié. Il s’agissait de toute une série de stands, voire de bâtiments entiers, dans le style architectural du pays concerné, encerclant le lac principal, chacun proposant une variété de mets et de boissons. Les portions étaient modestes, mais suffisantes pour en apprécier les saveurs, ce qui permettait de pouvoir ainsi goûter à plusieurs cultures. J’ai vraiment apprécié cette longue balade tranquille et gustative, nous évertuant cependant à rechercher à chaque fois une ombre propice et salutaire !

Après au bas mot une bonne dizaine de kilomètres à pied, déambulant dans cette ambiance pour le moins curieuse mais typiquement américaine, nous regagnâmes, quelque peu fourbus, l’un des immenses parkings que nous avions eu soin de bien identifier lors de notre arrivée. Puis, nous regagnâmes l’hôtel et sa jolie prairie qui descendait en pente douche vers le lac immobile dans lequel se reflétaient de jolis cumulus bien tranquilles. L’ouragan Dorian, qui avait sagement délaissé la côte est de la péninsule depuis peu, était désormais loin. Assis confortablement dans un fauteuil, j’observais de curieux échassiers au long bec et dont la tête était par moitié rouge vermillon et blanche, le reste du corps étant d’un gris élégant. Un livre à la main, mes yeux allaient alternativement de la page en petits caractères au décor une fois de plus improbable au sein duquel je me retrouvais.

Jour 2.
Cette fois, l’Aventure avec un grand A allait véritablement commencer. Ma fille m’avait interrogé sur mes envies de découvertes, me suggérant au passage quelques lieux incontournables. Je lui avais fait part de mes souhaits, mais chaque journée, je dois le reconnaître, eu son lot de surprises. Peu à peu, force était de constater qu’après de nombreux autres voyages à travers le monde, elle avait fini par acquérir un sens réel de l’organisation de ce genre de périple. Pas une seule fois je n’eus à me préoccuper de rechercher un hôtel pour la nuit, un lieu sympathique et original pour nos repas, sans parler des excursions inattendues qu’elle me fit faire.
À commencer par ces sources naturelles – les springs – (il en existe beaucoup en Floride), situées à une petite heure de route au nord d’Orlando. Au risque de surprendre le lecteur, tout comme je le fus tout au long de ce voyage, j’ai trouvé la Floride étonnamment… verte ! Des prairies, des champs, des bosquets et des bois, puis des forêts, épaisses, avec de grands arbres, semblables aux nôtres (mais évidemment pas les mêmes essences) et côtoyant en permanence de nombreuses variétés de palmiers. Que de beautés ! Parachuté comme par magie dans un tel décor, bien malin qui eût pu dire où il se retrouvait…

Ces sources d’eau vive, limpide et transparente se nichaient au cœur de Kelly Park et avaient pour nom Rock Springs. Nous étions partis d’assez bonne heure car le nombre de places pour les véhicules était limité et c’eut été dommage de devoir rebrousser chemin une fois rendus sur place. Mais Laura avait visé juste et, une fois acquitté le modeste coût de stationnement, nous pûmes aller nous changer dans les restrooms prévues à cet effet. Cependant, avant de nous plonger dans l’eau cristalline, ma fille m’invita à faire un tour de forêt, contournant l’un des nombreux bras de cette rivière sauvage. Que de beautés naturelles ! Suivant un sentier dallé, j’admirais en extase ces arbres majestueux, cette canopée extraordinaire qu’une lumière fraîche et matinale inondait. Le silence était impressionnant et les rares promeneurs que nous croisions paraissaient tout autant que nous absorbés par cette nature luxuriante. C’est à peine si nous nous murmurions quelques  mots lors de ces rencontres fortuites. Arrivés au bout de notre périple, parvenus sur un pont au tablier proche de l’onde de façon à empêcher les canoës en balade de pénétrer dans le parc, nous fûmes obligés de faire demi-tour. Nous regagnâmes alors les jolies plages et les escaliers de ciment qui allaient nous permettre de nous ébattre dans cette eau si claire et comme surgie de nulle part.
Si la perception d’une certaine fraîcheur fut réelle – l’air extérieur était déjà proche des vingt-cinq degrés – il fallait être prudent car les marches, recouvertes d’une mousse de couleur vert sombre, étaient passablement glissantes. Une fois le pied posé sur le fond, la sensation était étrange car on avait l’impression de marcher sur un sol moelleux comme un tapis dans lequel on s’enfonçait. Mais cette sensation était loin d’être désagréable. Après quelque effort pour m’immerger totalement, je m’en allai à contre-courant vers le petit pont que nous avions emprunté peu auparavant. Le lit de la rivière étant plus haut je dus me courber pour passer sous le tablier. Je remontai ensuite ce cours d’eau sauvage, bordé de chaque côté d’épais massifs de fleurs et d’herbes de toutes sortes. Puis, les grands arbres reprenaient le dessus et la forêt ses droits. Il me fallut redoubler d’effort car les berges s’étaient rapprochées ce qui avait pour effet d’augmenter la puissance de courant. Au loin, au détour d’un coude, je vis arriver, s’esclaffant et dans des gerbes d’eau, une famille. Chacun se laissait entraîner par le vif courant, assis, ou plutôt encastré, dans de grosses bouées circulaires. Mais la lutte était inégale et, à mon tour, je dus me laisser entraîner par l’onde et finis par rejoindre l’espace aménagé après avoir emprunté un autre bras de la rivière. Je regagnai la berge où un banc salutaire, à l’ombre de grands arbres, me permit de jouir d’un repos salutaire.

La route, puis l’autoroute, pour gagner Tampa, ville située sur la côte occidentale de la Floride et que nous allions contourner par l’est, représentait cent trente kilomètres environ. Conduisant prudemment au vu de la façon sauvage dont les autres véhicules se comportaient, il nous fallut au bas mot deux heures trente pour commencer à apercevoir les premiers rivages de la baie de Tampa, et encore dans le lointain, l’autoroute 75 en étant relativement éloignée. Laura avait bien sûr sa petite idée, moi qui rêvais tant de voir enfin les côtes du Golfe du Mexique. Elle s’était déjà rendue dans cet endroit idyllique, une île aux plages de sable blanc à l’extrémité de la presqu’île de Bradenton, à plusieurs reprises avec des amis, et elle savait combien j’allais adorer cet endroit paradisiaque. Anna Maria semblait déjà en pleine mer et, après une succession de ponts peu élevés au-dessus de lagunes où des bateaux souvent luxueux étaient ancrés, circulant sur une route étroite bordée de maisons magnifiques donnant directement sur la grève, au sein d’une végétation tropicale à souhait, nous finîmes par nous garer dans le parking privé d’un restaurant installé directement sur la plage. Et quelle plage ! Le soleil était si vif, la lumière presque aveuglante, l’éclat du sable tellement blanc qu’il m’était impossible d’ôter mes lunettes de soleil malgré l’ombre généreuse autant qu’indispensable de larges parasols. Là, à quelques mètres à peine, une plage d’une blancheur immaculée partait vers le nord comme vers le sud et se terminait sur les eaux calmes et turquoise du Golfe. Quel décor de rêve ! Le repas que Laura suggéra, à base de fruits de mer et accompagné d’une grande bière bien fraîche, ne fit qu’augmenter le plaisir intense que je ressentais déjà de me retrouver en un tel endroit. Le bain que je ne manquai pas de prendre un peu plus tard me stupéfia, tant la chaleur de l’eau, au moins trente degrés, était élevée. Jamais, je crois, je ne me suis baigné dans une eau aussi chaude et sans ressentir le moindre frisson. Une fois immergé, je ne fis même pas l’effort de nager, juste me laisser flotter dans cette eau dont la température rappelait celle d’une baignoire ! Il fallut hélas reprendre la route, celle qui, reliant tout une série d’îles de toute beauté, où des ponts se succédaient, nous conduirait jusqu’à Sarasota.

Cette ville portuaire et moderne bordait une jolie baie particulièrement séduisante au coucher du soleil. De nombreux oiseaux venaient s’y poser pour la nuit, y compris ces pélicans que j’avais été tant surpris de voir le midi survoler les flots tranquilles d’Anna Maria, et que je ne cesserai de voir à chaque fois que nous serions sur une plage en progressant vers le sud. Nous ne manquâmes pas bien sûr de passer par la boulangerie française C’est La Vie (1553 Main St.) et de bavarder un moment avec son patron bien sympathique ! Enfin, nous parvînmes à notre bel hôtel, judicieusement choisi et guère éloigné du centre-ville, le Carlisle Inn. Cette nouvelle journée se terminait et j’avais déjà engrangé une belle quantité de souvenirs.

Jour 3.
            C’était dimanche, mais pour autant ce n’était pas une raison de se lever tard ! Le riche programme de ma fille me réservait encore bien des surprises. Et elle comptait bien continuer à me faire profiter de ces plages paradisiaques. Siesta Key allait être notre première étape de la matinée, une plage réputée pour son sable d’une blancheur unique, incomparable, composé à 99% de quartz en provenance des Appalaches et non d’origine corallienne. Elle n’était pas très éloignée de notre hôtel et dix heures n’avait pas encore sonné lorsque Laura se gara dans un parking proche de la plage et qu’elle avait gardé en mémoire depuis son précédent passage. Ce charmant petit bourg me rappela la Barbade et sa capitale Bridgetown que j’avais connue il y avait une vingtaine d’années. Des maisons à un ou deux étages, aux toits de tôles, toutes dans des teintes pastel, disséminées au sein d’une végétation luxuriante, pleine de fleurs multicolores et de jolis palmiers. Des bars et des restaurants, avec d’élégantes terrasses en bois généreusement ventilées par de gros appareils munis de larges pales, servaient des petits déjeuners et parfois même, malgré l’heure matinale, de grands verres de bière. L’ambiance était aux vacances, l’air déjà chaud, l’ombre nécessaire. Heureusement, Laura avait pu se faire prêter un parasol, ce qui n’allait pas être de trop une fois parvenus sur la plage éblouissante de lumière où déjà des couples et des familles s’étaient installés avec tout le nécessaire pour passer la journée.

            Je ne me fis pas prier bien sûr pour aller me jeter à l’eau, quoique le verbe « jeter » fût cette fois encore quelque peu impropre. Comme la veille à Anna Maria, l’eau de Siesta Key était aussi chaude que celle d’un bain tiré chez soi ! Il suffisait de s’avancer lentement et de se laisser gagner par l’onde jusqu’au niveau du cou puis de se mettre à faire des aller et retour parallèlement à la plage. Une ancienne jetée en ciment dont on ne se servait plus depuis des lustres permettait aux pêcheurs du dimanche de jeter leur ligne. Les prises n’étaient pas grosses – les dauphins, dont j’aperçus quelques nageoires dorsales, ne s’aventuraient pas si près ; quant aux fameux requins… je n’en vis aucun, heureusement ! – et alimentaient surtout des mouettes gloutonnes et autres oiseaux marins. Levant les yeux, je vis passer à quelques mètres au-dessus de moi un groupe de quatre pélicans à la robe brune qui planaient avec une grande élégance. Pour autant, l’endroit avait beau être idyllique je ne me serai pas vu y rester la journée entière. En effet, tant vers le nord que vers le sud, la longue plage s’enfuyait vers des infinis sans décor particulier qui puisse attirer les regards. « L’ennui naquit un jour de l’uniformité » écrivait jadis le poète…

            Nous reprîmes la route, en partie côtière, longeant des grèves que l’on devinait parfois sauvages. De petites dunes apparaissaient sur lesquelles on avait planté des herbes semblables à des oyats. Mais, trop souvent, les plages étaient masquées par de luxueux lotissements privés, quand ce n’étaient pas, hélas, des immeubles de plusieurs étages. Peu après Venice, la route s’infléchit légèrement vers l’est de façon à contourner une nouvelle baie, passant ensuite par Port Charlotte, Punta Gorda et enfin Fort Myers. Sanibel serait notre nouvelle étape.
            Cette key – mot venant non pas de l’anglais mais étant une adaptation du nom  espagnol cayo/cayes qui désigne un îlot sableux – terminait cette succession interrompue d’îles depuis Anna Maria. Au-delà des Everglades, on n’en retrouverait qu’à la pointe de la Floride, dessinant un grand arc, et dont l’extrémité occidentale était la ville bien connue de Key West. Majoritairement privée, au vu de luxueuses propriétés donnant soit sur le Golfe soit sur la lagune, on ne pouvait accéder aux plages de Sanibel Island que moyennant le paiement d’un forfait journalier qui permettait de se garer et donnait également accès aux toilettes et à des douches bienvenues, l’eau ici étant particulièrement salée. De là, suivant un joli chemin balisé qui traversait les dunes, on gagnait la plage que Laura avait choisie, tout aussi blanche, aussi lumineuse, aussi écrasée de chaleur et de lumière que les précédentes. Il me sembla même que l’eau y était encore plus chaude ! Je ramenai de cette nouvelle journée une belle moisson de souvenirs et quantité de photos à partager avec les miens au retour. Le Quinta Inn by Windham à Bonita Springs serait notre nouvelle halte pour la nuit. Mais avant, en dépit de la douche prise au sortir de la plage, je n’avais qu’une envie, celle de me plonger dans l’eau claire et douce de la piscine de l’hôtel, avant d’aller nous régaler un peu plus tard d’un nouveau bon dîner !

Jour 4.
            Voir Naples et… ! Non, je plaisante bien sûr. Pourtant, cette ville, je l’avais déjà repérée sur une carte une bonne quarantaine d’année plus tôt. D’ailleurs, les États-Unis ne manquent pas de ces cités aux noms à consonance européenne (en plus de ceux d’origine amérindienne). Elle n’était guère éloignée de notre étape de la veille et marquait surtout à  mes yeux la proximité avec le grand parc des Everglades. Cette dénomination ne m’était pas inconnue et je savais à peu près le situer sur la carte. Je n’ignorais pas non plus que pas mal d’animaux étranges ou inhabituels y vivaient en toute liberté, notamment des alligators, appelés caïmans en Amérique du sud. Créé en 1947 pour protéger un écosystème fragile, ce parc couvre plus de six mille kilomètres carrés. Cependant, avant de l’atteindre, quelque chose de tout à fait inédit m’attendait. La veille, j’avais bien vu ma fille tapoter à plusieurs reprises sur son smartphone, me demandant de manière subtile si j’étais capable de marcher sur une certaine distance et durant combien de temps. Mais elle ne m’en avait pas dit davantage. Ce n’était pas encore le parc en lui-même, mais ça y ressemblait fort. Depuis Bonita Springs, nous parcourûmes en direction du nord-est une quinzaine de kilomètres jusqu’à l’entrée du Corkscrew Swamp Sanctuary (Swamp signifie marais en anglais), sorte de réserve naturelle appartenant à la National Audubon Society (du nom de son fondateur). C’était bien la première fois que je pénétrais dans un tel univers et ma fille avait vraiment fait un bon choix. Il était encore tôt et nous étions probablement parmi les premiers visiteurs de la journée. Là, durant près d’une heure trente, nous arpentâmes cette réserve en tous sens, marchant sur une sorte de passerelle surélevée faite de gros madriers et de planches disjointes, avec des rambardes du même acabit qui permettaient de surplomber cet immense marécage qui n’était pas sans me rappeler la forêt amazonienne que j’avais découverte, entre Manaus et Tabatinga, début juillet. Nous n’aperçûmes aucun animal particulier, mais je restai bouche bée devant ces arbres gigantesques, ces lianes démesurées, ces vastes étendues de plantes aquatiques, de nénuphars et autres variétés de cette végétation subtropicale. La chaleur, passablement humide, ne se faisait pas encore trop sentir, mais l’ombre salutaire des hautes cimes nous protégeait des rayons déjà ardents du soleil.

            Nous reprîmes la voiture, nous dirigeant cette fois plein sud vers l’entrée du fameux  parc, un des fleurons de cette belle Floride. Délaissant l’autoroute 75 qui menait directement à Miami, distante d’un peu moins de deux cents kilomètres vers l’est, nous empruntâmes la route 41, nettement plus modeste. Curieusement, et contrairement à bien d’autres parcs américains, nous n’eûmes pas à franchir la moindre barrière, le moindre poste pour pénétrer dans le parc et notre première halte, d’où l’on pouvait ensuite rayonner aisément sur des pistes non asphaltées, avait pour nom Big Cypress Swamp car on y trouve, outre une faune très diversifiée, une vaste forêt de cyprès humides et de nombreuses mangroves. Ce fut là, enfin, que je pus voir de tout près, mais toujours depuis nos passerelles protégées ou en contrebas de la piste, de superbes alligators, alors que, malgré d’intenses recherches deux mois plus tôt, je n’étais pas parvenu à apercevoir le moindre caïman ! Comme nous avions pris un copieux petit déjeuner et que nous avions toujours avec nous barres de céréales et fruits séchés, nous eûmes largement le temps de parcourir, du moins en suivant les pistes, cette portion de l’immense parc des Everglades. Bien sûr, en sortant de la voiture et avant de poser le pied à terre, nous nous assurions qu’aucun prédateur, gros ou petits (car il y a de nombreux serpents venimeux), ne se trouvait à proximité ! Nous étions souvent les seuls et pouvions ainsi mieux savourer cet environnement sauvage et surprenant à plus d’un titre.

            La fin de la journée approchait et Laura, qui avait bien sûr déjà réservé l’hôtel, nous emmena, via le route 29, jusqu’à Everglades City où elle nous avait déniché un motel de qualité (l’Ivey House) au centre duquel, bien abritée par une large moustiquaire tendue en guise de toit, se trouvait une fort jolie piscine agrémentée de rochers et d’une jolie rocaille fleurie. Le soir, nous nous dirigeâmes à pied, sous les immenses palmiers dont les branches se paraient des teintes magnifiques du soleil couchant, vers le seul restaurant ouvert en cette fin de saison. Une nouvelle aventure m’attendrait dès le lendemain matin…


Jour 5.
            Jamais à court d’idées donc, Laura qui, à mon sens, devrait persévérer dans ce rôle de guide touristique, avait une fois encore visé juste. Elle n’avait rien moins trouvé que de nous inscrire pour une virée en vedette à moteur dans les eaux du Golfe, commençant d’abord par une balade dans les mangroves qui longent toute cette côte jusqu’à la pointe sud de la Floride. Pour le départ de dix heures, nous n’étions que sept dans ce beau bateau  propulsé par de deux puissants moteurs hors-bord, plus le capitaine et son acolyte. Le début de cette excursion enchanteresse se déroula à faible vitesse, suivant les balises rouge et verte qui délimitaient un chenal invisible et nous évitaient surtout de rester immobilisés sur un des nombreux hauts fonds sournois car invisibles. Sur des îlots de sable, tout comme sur le sommet de certaines de ces balises, des oiseaux s’étaient installés ou avaient même fait leurs nids. Aigrettes, hérons, toutes sortes d’échassiers, pélicans, mouettes, autant d’oiseaux qui trouvaient en ces vastes étendues marines un véritable paradis où la nourriture était riche, variée et abondante. Dans le lointain, sur la ligne d’horizon, un petit îlet, de faible hauteur, attira mes regards. On y distinguait une jolie plage de sable blond. Je savais qu’au-delà c’en était fini de la terre et que le Golfe du Mexique s’ouvrait, jusqu’aux côtes lointaines du Yucatán. Le ciel était sans nuage. À l’abri du toit, en fait un second niveau que l’on atteignait par une volée de marches, mais qui restait inaccessible au vu du faible nombre de passagers, on se sentait bien avec cette brise bienfaitrice générée par la faible allure de notre embarcation. Sensiblement, nous nous approchions de cette île déserte. Ayant légèrement augmenté sa vitesse, le capitaine semblait manifestement chercher quelque chose, sa tête comme ses regards allant alternativement de gauche à droite. Soudain, il nous cria de regarder par bâbord. Incrédules dans un premier temps, l’un de nous distingua un premier aileron, puis un second. Oui, c’était bien cela, tout un cortège de dauphins était venu nous accueillir et nous souhaiter la bienvenue ! Il y en avait bien une demi-douzaine. Moi qui croyais que nous allions nous approcher de l’îlot, voire le dépasser pour pénétrer pour de vrai dans le Golfe, je fus quelque peu déçu lorsque le capitaine entama un demi-tour. Il lança ses moteurs à plein régime. Mais pour quelle raison ? Je ne mis pas longtemps à comprendre lorsque l’un des passagers resté à l’arrière poussa un cri de stupeur. L’escouade d’intrépides et facétieux mammifères, dont certains dépassaient les deux mètres de longueur, nous suivait à vive allure, bondissant au-dessus des flots en d’élégants sauts. Ils nous offraient un spectacle unique et magnifique. Élégant ballet que celui de ces dauphins entre mangroves et Golfe du Mexique.

            Une fois de retour au port, après cette virée d’une heure trente que je ne serai pas prêt d’oublier, nous retrouvâmes la voiture et entreprîmes de parcourir à nouveau cette zone sauvage, empruntant des pistes que nous n’avions pas encore suivies. Nous vîmes d’autres alligators, tout aussi gros, même si pour certains il fallait avoir le regard bien affûté tant ils se fondaient dans la nature. Cependant, il fallait déjà songer au retour, remonter vers Orlando. Laura, qui n’avait pas oublié mon envie récurrente de me gorger de belles plages, eut une dernière idée. À l’approche de la côte, elle dénicha une ultime station balnéaire, quasiment en pleine ville, mais dont les rivages éclatants de blancheur étaient toujours aussi splendides et attirants. La plage de Delnor Wiggins, proche de Bonita Springs, était, comme les précédentes, toute en longueur mais un peu trop bordée à mon goût d’immeubles de plusieurs étages. Qu’importe, cela ne gâcherait pas mon dernier bain, toujours survolé par  d’élégants pélicans. Un avantage bien appréciable consistait en restrooms publiques, avec douches, ce dont nous profitâmes évidemment car l’on songeait déjà à notre remontée et nous n’avions pas encore prévu ni réservé d’hôtel. Après réflexion, Laura opta pour un retour direct vers le nord, ayant fini par dénicher un dernier motel à Kissimmee, le Saesons Florida Resort. Il n’y avait pas d’autoroute sur ce trajet mais les routes furent belles et bien dégagées, avec peu de trafic. Je fus surpris plus d’une fois de longer de grandes étendues cultivées où poussaient, bien alignés et séparés les uns des autres, des arbustes aux feuilles d’un vert profond. Y regardant de plus près, je découvris de superbes pamplemousses ! Rapide retour dans mon enfance, à l’époque des anniversaires où ma mère et ses amies de jeunesse nous régalaient de délicieux jus de pamplemousses… de Floride, contenus, à cette époque, dans de grosses boîtes de conserve dont je n’ai pas oublié depuis ni les couleurs ni les reproductions de ces fruits juteux et délicieux.


            Une dernière surprise m’attendait à Orlando, et aucun indice n’aurait pu me la laisser imaginer. Laura avait pris les devants dès avant notre départ et bien malin qui aurait pu deviner cette heureuse soirée. Quoique… On se souvient où ma fille avait décidé de travailler et il pouvait donc paraître logique que si le premier jour fut consacré presque en totalité à la visite d’Epcot, le dernier pouvait avoir son pendant. Disney Springs n’est pas à proprement parler un parc d’attractions mais principalement un vaste complexe mélangeant boutiques et restaurants de toutes sortes, le tout bien évidemment dans un décor propre et typique à la magie Disney. Bien que ce fût en semaine, et passé les vingt heures, ce parc était bondé. Une foule gaie et vivante, couples, familles, jeunes, tous âges mêlés, déambulaient dans la joie et la bonne humeur, souvent affublés de ces colifichets qui m’avaient tant marqué le premier jour. Ma fille avait réservé une table au Rainforest Cafe, étonnant décor surmonté d’un volcan qui grondait et crachait des flammes toutes les vingt minutes ! Elle m’y « régala », selon son expression, m’invitant pour cette ultime dîner. Le repas fut excellent, cela va sans dire, et l’apéritif que nous partageâmes reste encore bien ancré dans ma mémoire.

Ainsi se terminait un magnifique périple de plus de deux mille kilomètres. Je n’aurais jamais imaginé un jour visiter la Floride, encore moins dans de telles conditions. Cela valait bien ce récit qui, je l’espère, donnera envie à des lecteurs anonymes de partir à leur tour.  Comme ce le fut pour d’autres, je n’en doute pas, qui ont pu s’en aller à la découverte de la Gaspésie.

Quant à Laura, je ne puis que l’encourager à poursuivre sur cette lancée !

lundi 9 septembre 2019

Émile


Mon père nous a quittés il y a bien longtemps ; je n’avais que vingt-huit ans.
Né il y a plus d’un siècle, ses parents l’avaient prénommé Émile, tout comme l’avait été son oncle maternel, personnage pour le moins austère.

Si, enfant, je ne me suis pas vraiment posé de questions quant à son prénom que je trouvais cependant quelque peu désuet à le comparer avec ceux des pères de mes copains d’école –, je  m’interrogeai bien plus tard sur les raisons qui avaient poussé mes grands-parents à l’appeler ainsi. Puisqu'il était natif du genevois français (j’entends par là l’étroite bande de zone franche qui entourait la Suisse et donc le canton de Genève, au pied du Mont Salève), je finis par faire un rapprochement avec le grand philosophe Jean-Jacques Rousseau, auteur du fameux Émile. Les souvenirs conservés dans ma mémoire de collégien et lycéen, des textes – pour certains révolutionnaires avant la date – du grand érudit et non moins prolifique écrivain, expliquaient à mes yeux ce prénom dont je me sentais de plus en plus fier. Mais Jean-Jacques était encore loin de m’attirer, craignant de ne voir dans ses pages que de longues et peu attirantes réflexions, théories, aventures romanesques et autres « confessions ». Peut-être la Profession de foi du vicaire savoyard aurait-elle pu m’attirer, le vocable « savoyard » ayant été de tout temps un qualificatif positif pour le fils de haut-savoyard que j'étais !
Mais cet Émile ne cessait de m’interpeller. Plus les années passaient, plus je devenais adulte et mûr, plus je me disais qu’il me faudrait bien un jour acquérir cet ouvrage.

Il y a quelque mois, me rendant dans ma librairie parisienne préférée du Quartier latin, j’accédai à l’étage des livres de poche puis me dirigeai vers la lettre « R ». Quelle surprise ! Rousseau emplissait pas moins de deux rayonnages ! Il était donc encore, en ce début du XXe siècle, sacrément d’actualité ! L’Émile n’y figurait pas, hélas ; on ne le trouvait qu’en édition de luxe, celle de la Pléiade. Pour autant, et comme j’étais cette fois fermement décidé à découvrir ce grand auteur, je ne baissai pas les bras et, quitte à entrer dans l’univers du genevois, quoi de mieux que de débuter par ses Confessions (en deux tomes). Quelque sept cent quarante pages (outre les abondantes notes) pour ces douze livres et un peu plus de trois mois pour tout savourer ! Et quelle formidable révélation !

Il n’était pas une journée ni une soirée sans que je me saisisse de l’ouvrage, entièrement absorbé, captivé par ces lignes d’une franchise incroyable. Oui, une véritable révélation où, non seulement les raisons qui avaient poussé mes aïeuls à prénommer ainsi leur fils devinrent évidentes, mais aussi parce que d’un coup, ce père parti bien trop tôt et qui m’avait tant manqué dans mon éducation d’homme puis de père en devenir, prit subitement une toute autre dimension.
J’avoue humblement que je ne m’attendais pas à une telle découverte, imaginant davantage, et bien à tort, au travers de cette figure du siècle des Lumières, un auteur hermétique, difficile à lire, fastidieux. Sans doute le résultat d’un enseignement que je ne captai pas assez bien alors, ou que je ne compris pas faute de bases solides comme d’un esprit pas encore assez ouvert.

Aujourd’hui, c’est un gros volume de la Pléiade qui m’attend, incluant la totalité de l’Émile dans ses différentes versions. Et il n’est pas improbable que dans les années à venir d’autres écrits viennent s’ajouter à ces lectures (Rêveries du promeneur solitaire, Julie ou la Nouvelle Héloïse, Du contrat social, par exemple).

Ce n’est pas la première fois que j’aborde la littérature (quelles qu’en soient ses formes) dans ce blog. En effet, certaines de mes lectures m’ont tellement captivé, passionné, enrichi que je ne peux me résoudre à les garder pour moi seul. Le partage me semble incontournable. Balzac, Proust, Hérodote, Strabon, Platon, pour ne citer qu’eux, apparaissent ainsi au fil de mes billets. Aujourd’hui Rousseau. Il y en aura d’autres, c’est évident !

dimanche 4 août 2019

L’Amazone, un fleuve dans la démesure.


La remontée de l’Amazone, depuis Manaus, sur un petit bateau de croisière, vers la triple frontière Brésil, Colombie, Pérou, en l’occurrence la ville de Tabatinga, représente vraiment une aventure exceptionnelle à plus d’un titre, presque un défi contre les éléments. Ce fleuve, qui prend le nom de Solimões jusqu’à son arrivée au Pérou où il retrouve son appellation initiale, est en effet à lui seul un monstre. Imaginez : à Manaus, sa largeur frise les trois kilomètres (son tributaire, le río Negro, qui le rejoint plus en amont, peut mesurer quant à lui pas moins de dix kilomètres). À Tabatinga, elle est encore de deux kilomètres et demi. Sa profondeur est de plusieurs dizaines de mètres et atteindrait en certains lieux la centaine de mètres ! Ce n’est pas un fleuve, c’est un véritable phénomène, vomissant, charriant, surtout en cette période de décrue (juillet 2019), une quantité impressionnante de déchets naturels de toutes sortes, branchages, troncs d’arbres, îles végétales (comme sur le Nil) faites de débris décrochés, arrachés aux rives instables par un courant impétueux contre lequel même un bateau puissant doit lutter, îles qui n’ont de cesse de se développer au gré des flots bouillonnants.

L’Amazone m’a impressionné, je l’avoue, et, même si la comparaison peut paraître osée, elle m’a fasciné, ensorcelé autant que la péninsule Antarctique. Une totale démesure, une invraisemblable stupeur, une intensité d’émotions comparable qui, aujourd’hui encore, ne m’ont pas laissé indemne. Depuis longtemps habitué aux paysages verticaux, aux montagnes imposantes, aux sommets arrogants mais non moins saisissants, aux massifs couverts de neige délimitant l’horizon, j’ai été confronté au même gigantisme invraisemblable, celui de l’horizontalité. Imaginez. Trois bandes : celle du fleuve, limoneux, vivant, ondoyant, en pleine irruption[1], puis celle du ciel, immense, démesuré lui aussi, tout autant que ces cumulus gigantesques qui parfois se déversent en tonnes d’eau dans un fracas épouvantable, enfin une étroite bande délimitant ces deux espaces, les sectionnant net comme un scalpel, la forêt. Forêt primaire, souvent inviolée, qui paraît si fragile vue de loin, si frêle. Mais, une fois mis le pied à terre ou navigant prudemment sur de modestes pirogues manœuvrées à la pagaie, c’est dans une formidable cathédrale de verdure que l’on pénètre. Une cathédrale imposante et silencieuse, qui exige la retenue et l’admiration, mais dont l’accès est réservé à l’initié, à l’amérindien audacieux, Tikuna, Matis ou Marubo, respectueux de ce temple, son temple. Ici, les piliers ne sont pas de pierre mais soutiennent une canopée riche et vivante, des troncs phénoménaux dont la hauteur atteint et dépasse même les quarante, cinquante mètres. Règne d’un étrange silence, juste perturbé par le cri d’un oiseau ou le râle inquiétant mais inoffensif d’un singe hurleur. Quant au paresseux, niché tout en haut d’un kapokier, bien malin celui qui saura l’apercevoir.

L’Amazone, l’Amazonie. Quelle splendeur, quel retour aux origines de notre planète comme elle devait l’être jadis ! Comme un continent à elle seule, monstrueuse, démesurée, violente dans ses soubresauts, magique et inquiétante, superbe et ensorcelante, terriblement attachante. Je l’ai aimée, j’y retournerai… bientôt.


[1] « débordement, envahissement de la mer, d’un fleuve sur les terres ». Nodier et Ackermann, Firmin Didot, 1857.

samedi 20 octobre 2018

Honoré de…


Balzac, bien sûr !
Cela fait plus de cinquante ans que je côtoie cet écrivain exceptionnel et fécond.
En 1965, alors en seconde C au lycée Condorcet à Paris, mon professeur de français (mais aussi de latin !), Jean-Marie Pény, que j’ai évoqué dans le livre Appetitus noscendi (calamasol, 2016), nous avait « imposé » de lire puis de commenter Le Père Goriot. Quelle épreuve, malgré l’aide ô combien patiente de mon père ! J’en gardai un amer souvenir. Mais il y eut pire quand il fallut me lancer dans cet autre ouvrage, La recherche de l’absolu. Je croyais, bien naïvement et plutôt inculte, qu’il s’agissait là d’un livre de philosophie ! Mais je fis bien vite volte-face, découvrant qu’il ne s’agissait nullement de cela, et en poursuivis la lecture avec passion. Déjà un signe ! Le troisième ouvrage inscrit dans la liste du docte professeur ne fit que confirmer à mes yeux la sagesse de ses choix : La peau de chagrin me ravit tout autant.
Les années passèrent. J’abandonnai pour un temps le grand romancier, l’oubliant presque, avant de le (re)découvrir au début des années 2000.
Aujourd’hui, ses livres constituent presque un rayon entier de ma « blubliothèque » – soit près de trente ouvrages se serrant les uns contre les autres. Et je sais que c’est loin d’être fini.

Je ne vais pas entreprendre ici un long éloge de Balzac. D’autres que moi, et bien plus compétents, l’ont déjà fait. Ce que je souhaite pourtant mentionner, alors que ma quête de nouveaux romans de ce monstre de l’écriture devient chaque fois plus difficile (Séraphita est quasiment introuvable en librairie), c’est que ce natif de Tours, mort à cinquante ans à peine, a également écrit moult nouvelles. Et celles-ci sont exceptionnelles ! En effet, on y trouve en condensé tout le génie du grand homme. Que certaines fassent une dizaine de pages tout au plus, peu importe, la jouissance du lecteur est à son comble. Comme si l’auteur avait réussi ce tour de force de rassembler en de courts récits non seulement ses idées majeures mais aussi, et surtout, de nous offrir les plus belles pages de sa prose incomparable au style foisonnant, flamboyant et au vocabulaire immensément riche.

Oui, outre ses romans, il faut lire les Nouvelles de ce grand Honoré de Balzac, qu’on les trouve rassemblées sous un seul volume ou à la suite d’un titre plus connu. Si vous êtes un fervent admirateur de cet écrivain hors norme, ces « petites » histoires ne pourront que vous ravir.

vendredi 1 juin 2018

À Pierre.

Ce matin, en ce 31 mai 2018, j’étais à l’église Saint-Roch à Paris.
Ce matin, alors que durant des années, je l’avais vu debout, imposant, majestueux, impressionnant presque, je l’imagine, là, à quelques mètres de moi, allongé, muet, immobile, dans ce cercueil de bois blond, si grand, si long. Aussi, je préfère me remémorer, avec un sourire intérieur, notre première rencontre…

Celle-ci avait eu lieu il y a un peu plus de trente ans, en janvier 1988, dans l’un des studios de TF1, récemment privatisé, rue Cognacq-Jay. Déjà tout un symbole.
Pierre… Bellemare a littéralement changé ma vie, d’un coup, comme avec une baguette magique !
Avec lui, grâce à lui, par lui, j’ai vécu les plus belles, oui, les plus magnifiques années de ma vie professionnelle.

Il avait eu l’idée géniale de lancer le téléachat en France, idée qui avait déjà fait ses preuves depuis près de trente ans aux États-Unis. Mais il avait su l’adapter à notre pays, lui, le formidable conteur d’histoires. Désormais, l’acheteur que j’étais allait se mettre en quête de produits « racontables », terme que j’inventai pour expliquer ce nouveau et inédit système de distribution auprès de fournisseurs souvent incrédules. Les catalogues de vente par correspondance, pour lesquels j’avais travaillé durant des années, devenaient d’un coup dépassés et obsolètes.
Pierre magnifiait chaque produit, le décrivait, le décortiquait à loisir avec sa complice Maryse, dans ses plus intimes détails. Rien n’était caché au client… émerveillé et fasciné.

Pierre, oui, Pierre Bellemare a changé ma vie, l’a rendue d’un coup fascinante, enivrante, passionnante. Tout était possible, tout s’avérait réalisable, sans ambiguïté, sans fausse promesse. Du vrai, du tangible, de l’incontestable.
Lorsqu’un jour, revenant d’un pays lointain, je lui suggérai la possibilité de vendre des voyages à l’écran, sa réponse fut immédiate. Oui ! « Proposez-moi des destinations. Si elles me conviennent et correspondent aux envies, désirs et rêves de notre clientèle, je vous les validerai… et c’est vous qui les vendrez à l’écran ». Et cela dura ainsi dix années ! Dix années où des « clients », dont certains n’avaient jamais pris l’avion de leur vie, se sont retrouvés à l’autre bout du monde, pour leur plus grand bonheur !
Ah, Pierre, que ces années passées à vos côtés ont été « formidables » ! Oui, vous avez été formidable…

Alors, ce matin, j’étais, malgré la tristesse immense de nous avoir quittés, pleinement heureux et fier d’avoir eu la chance, un jour, de croiser votre route. Quelle chance, véritablement !
Mes enfants resteront à jamais marqués, grâce à vous, à cause de vous !, de ces années uniques passées à vos côtés.

Et surtout, là-haut, comme ce fut évoqué ce matin, continuez à conter, à raconter. Ils ne risquent pas avec vous de s’ennuyer… pour l’éternité !


Merci Pierre !

dimanche 18 février 2018

HTPS

Il était temps de rompre cette trop longue période de silence ! Ce nouveau billet en sera le prétexte ; mes lectures, actuelles ou passées, constitueront une nouvelle fois le fil conducteur de ces quelques lignes.

HTPS. Nom de code ? Que nenni ! Pas plus que le moyen de se connecter à un lien hypertexte ! Non, tout simplement une sorte de porte ouverte sur le savoir historique, sur « l’occident en train de se faire » et qui a été magistralement décrit par certaines des plus grandes figures de l’Antiquité. Témoins oculaires, racontant ce qu’ils ont vu, vécu même parfois, ou rapportant des faits qui leur furent relatés, avec certes plus ou moins de fidélité, ces grandes figures nous ont laissé des écrits qui, encore aujourd’hui, forcent l’admiration tant ils permettent de nous projeter dans un passé lointain remontant à plusieurs siècles avant notre ère. Malheureusement, tous ces écrits ne nous sont pas parvenus dans leur intégralité, les affres du temps comme les conditions de conservation ayant eu raison de leur état et ils demeurent à jamais perdus. Mais ceux qui nous restent constituent un formidable héritage dans lequel nous pouvons puiser à loisir pour nous faire une idée de l’état du monde connu à cette époque, cet occident qui se construisait.

Ces quatre géants que je vais évoquer brièvement ne sont bien entendu pas les seuls à nous avoir laissé de pareils témoignages. Mais ils furent sans aucun doute les premiers à raconter, pour les transmettre aux générations suivantes, leur formidable moisson, tant historique que géographique. En ce sens, on peut les traiter d’« initiateurs », de défricheurs. La lecture de leurs vastes ouvrages, en ce XXIème siècle encore naissant, ne peut que nous inciter à davantage d’humilité face à la manière dont le monde contemporain évolue, comme à mieux réfléchir sur l’état du monde de jadis comparé à celui dans lequel nous évoluons quotidiennement.
Mais il est temps de dévoiler ces mystérieux HTPS !

- Hérodote (– 480 à – 425 avant JC). Considéré comme le Père de l’Histoire.
Ces Enquêtes (historiae en latin) forment un récit exceptionnel, d’une richesse inouïe et font de leur auteur l’un des précurseurs de l’histoire universelle. Mais il est aussi (car, comme n’a cessé de le répéter Paul Veyne, la géographie est indissociable de l’histoire, « de la comparaison naît la lumière »[1]) l’un des premiers géographes. Lire les Enquêtes c’est partir pour une folle aventure qui emmène le lecteur, vite passionné, vers les limites extrêmes du monde connu de l’époque, tant vers l’est (l’Asie, jusqu’aux portes de l’Inde), l’ouest, le nord (les territoires boréens) que vers le sud, le continent africain que l’on nommait Libye.

- Thucydide (– 460 à env. – 397 avant JC). A la fois historien et homme politique.
 L’auteur de la fameuse Guerre du Péloponnèse qui se déroula sur un peu moins d’une trentaine d’années et opposa les deux grandes cités rivales, Athènes et Sparte. Relatant ce long conflit avec un souci extrême de l’exactitude et donc du détail, Thucydide apparaît comme un historien majeur. Si l’on peut à juste titre se passionner pour les aventures et les descriptions relatées par Hérodote, il ne faut pas se laisser impressionner par la taille de son ouvrage. Car il se lit, se dévore même oserai-je écrire, avec une égale passion. Au point que vingt ans après une première lecture j’eus envie, comme avec le natif d’Halicarnasse, de me plonger à nouveau dans ce formidable récit dont bien des épisodes sont encore aujourd’hui dans les mémoires (ceux de Marathon, des Thermopyles, de Platée ou encore de Mégare pour ne citer que les plus connus).

- Polybe (env. – 206 à env. – 124 avant JC) Autre grand historien grec, après Hérodote et Thucydide. Il est le grand historien de la conquête romaine.
Il est à l’origine de ce présent billet ! Je n’ai encore parcouru, à ce jour, que deux cent pages de son imposante Histoire qui en comporte, dans l’édition Gallimard de 2003, notes comprises, près de mille cinq cent ! Le voir cité plusieurs fois dans les écrits du personnage suivant, mais également dans bon nombre d’autres ouvrages, contemporains ou non, me donna envie de partir à sa découverte. Mais déjà, quelle richesse, que de détails dans les combats entre les Romains et les Carthaginois, que de références géographiques précises qui font également de lui un grand géographe !
Ainsi, peu à peu, s’était formée dans mon esprit une image passablement précise et vivante de ces époques reculées que, plus jeune, je mélangeai allègrement, aussi bien en termes de géographie que d’histoire. Car, il faut bien l’admettre, l’enseignement que l’on nous dispensait, écolier, puis collégien,  lycéen enfin, était loin d’être aussi vivant que toutes les pages de ces illustres anciens !

- Strabon (– 64 avant JC à 25 de notre ère) Géographe grec auteur de la Géographie.
Son œuvre, vaste et amplement détaillée, comporte dix-sept livres. Les éditions des Belles Lettres en ont fait une publication remontant sur plusieurs dizaines d’années, édition de qualité, généreusement annotée, avec cartes détaillées… et bilingue. Il m’aura fallu un peu plus de six années, sans me presser car je tenais à les savourer, pour lire tous les tomes ! La lecture fut là aussi passionnée, n’hésitant pas à me munir de cartes contemporaines pour suivre les descriptions de Strabon. Il utilisa de nombreuses sources, dont celles de Polybe, Ératosthène, de Posidonius, d’Arthémidore ou encore d’Aristobule.
Strabon reste pour moi, à ce jour, un compagnon de voyage unique qui m’a ouvert un vaste champ de recherches. Il a amplement élargi, si elle pouvait encore l’être, ma curiosité. Il est indéniable que certains des pays où je me suis rendu ces dernières années ont été inspirés par la découverte de ces pages foisonnantes.



[1] Comment on écrit l’histoire, Éditions du Seuil, 1971.

samedi 2 septembre 2017

Le Pla pays

Été 1959. J’avais juste onze ans. Ma mère, notre mère, Alma, après une première expérience pas trop réussie sur la côte cantabrique, non loin de Santander (la mer n’était pas très chaude et assez agitée) décide de changer d’horizon, ou plutôt de mer, et nous emmène tous les cinq, avec notre père qui allait l’adorer, sur la Costa Brava, dans un petit village, en fait une petite crique abritée, non loin de la bourgade de Palafrugell, Tamariù (dont le nom rappelle évidemment le tamaris, arbre élégant qui orne encore aujourd’hui la jolie promenade – désormais aménagée – qui donne sur la plage de sable blond). Mais pourquoi avoir choisi cet endroit idyllique ? Il est hélas trop tard pour le lui demander. Nous y avons passé des séjours inoubliables, emplis de souvenirs les plus fous et parmi les plus riches de notre enfance puis de notre jeunesse. Ma mère fit d’ailleurs des émules et quelques-unes de ses amies d’enfance vinrent à leur tour  y passer les mois d’été. Je m’y fis un ami, le fils de nos voisins catalans, de La Bisbal, qui venait y passer avec ses parents et grands-parents tous ses étés, et qui continue à y venir les longs mois de printemps et d’été, voire de début d’automne, avec sa femme, dans leur bel appartement à deux pas de la plage.

Toujours est-il que près de soixante années plus tard, après y avoir emmené à mon tour pour les vacances mes filles aînées, je me suis retrouvé à nouveau dans ce petit paradis. Il n’a guère changé depuis, le manque de place entre les falaises vermillon sur la gauche et gris acier sur la droite qui encadrent la petite baie empêchant toute construction. Il faut juste porter le regard en arrière, vers la forêt de pins et de chênes liège, pour découvrir quelques nouveaux bâtiments, heureusement masqués par les arbres dont la plupart doivent être aujourd’hui centenaires.
Et voilà qu’à présent mes filles, marquées elles aussi par leurs séjours d’enfance, viennent avec leur  famille, logeant dans les mêmes appartements que je louais jadis. Et je sens bien que leurs enfants, à leur tour, sont peu à peu gagnés par ce virus estival, reprenant les mêmes gestes, pêchant depuis le même petit débarcadère tandis que le soleil déclinant embrase les roches escarpées, réclamant les mêmes glaces et autres délices sucrés ! Et le père que je suis ne cesse de se remémorer ses propres souvenirs, toujours aussi vifs et précis, prenant par la main l’un ou l’autre (voire ensemble) de ces bambins ébahis et terriblement enjoués par ces vacances si différentes.
                
Mais je me dois cependant d’expliquer le titre un peu énigmatique de ce nouveau billet. Les langues, on le sait, m’ont toujours attiré, et ce d’assez bonne heure. Il n’en fallait pas plus, du haut de mes quinze ou seize ans, pour que je m’intéresse à ce curieux idiome qu’est le catalan, assez apparenté au vieux français, du moins à le lire. À l’époque, celle de Franco, il n’était utilisé que par les autochtones qui s’en servaient pour communiquer. La langue « officielle » restait évidemment l’espagnol que je possédais déjà bien. Ayant eu l’occasion, parmi les nombreuses visites que notre mère organisait – et cette curiosité insatiable m’a gagné à son tour ! –, de découvrir le site roman de San Pere de Roda, celle-ci dénicha dans une librairie de Palafrugell un livre en catalan intitulé L’Empordà, bressol de l’art romànic (dont on devine plus ou moins le sens : L’Empordà berceau de l’art roman). Je ne vais pas m’étendre sur ce nom d’ Empordà qui est celui de toute cette région, depuis la frontière française jusqu’à la commune de Playa de Aro située un peu plus au sud du port de Palamòs. On y distingue le Haut et le Bas Empordà, Palafrugell, et donc Tamariù, faisant partie de ce dernier. Empordà vient lui-même de la ville gréco-romaine d’Empuriès (ou Ampurias en espagnol), dont l’étymologie évoque emporium, signifiant « marchés, entrepôts ».

Je me délectai donc de ce livre, surtout de cette langue chantante et qui m’amusait, tant les consonances rappelaient le français. Il y eut ensuite une longue, très longue période où je ne m’intéressai plus à cette prose. Jusqu’à il y a quelques années où je découvris, sans doute par hasard, ou alors grâce aux informations de mon vieil ami José et de sa femme Imma, qu’un auteur fameux, traduit en français, était né à … Palafrugell ! Vite, je parvins à me procurer à Paris son livre le plus connu, que je préférai toutefois lire dans sa version traduite, Le Cahier Gris. Il m’enchanta d’emblée car il traitait de ses intarissables souvenirs de jeunesse dans cette région qui m’avait tant charmé, et me charme toujours pleinement. J’ai, depuis, lu plus d’une demi-douzaine de ses ouvrages, tous en catalan, dont un tome de ses mémoires lorsqu’il fut envoyé comme journaliste à Paris, en 1921, année de naissance de ma mère ! Ce grand écrivain va éclaircir à présent le titre de ce billet : Josep Pla (1897-1981). Cet été, j’ai même entrepris un court voyage dans l’arrière-pays pour identifier les lieux mentionnés tout au long des propos retranscris dans son livre Dos senyors où il évoque la vie de deux frères natifs des environs de Vic.

On aura compris, je l’espère, la double intention de ce billet. Un hommage à cet auteur fécond que je ne puis que recommander (dans ses traductions en français bien sûr ! Mais pourquoi ne pas tenter la lecture dans la langue originale ?) et dont je ressens à chaque fois un immense plaisir à lire la prose vivante, riche, si précise au niveau du détail, souvent colorée, voire même parfumée. Mais également une évocation de ce petit paradis bien caché, tout au bout de la route sinueuse qui descend vers la mer, où elle débouche quasiment sur la plage. Je ne doute pas qu’un jour mes petits-enfants y emmèneront à leur tour leurs propres enfants !


Ah, Alma, si tu pouvais imaginer !